30
Graup
L’histoire de la fuite de Fred et de George vers la liberté fut racontée tant de fois dans les jours qui suivirent que Harry était sûr de la voir entrer à l’avenir dans la légende de Poudlard. Au bout d’une semaine, même ceux qui avaient été témoins de la scène furent presque convaincus d’avoir vu les jumeaux fondre en piqué sur Ombrage pour la bombarder de Bombabouses avant de s’envoler au-dehors. Après leur départ, beaucoup parlèrent de les imiter. Harry entendait souvent des propos du genre : « Franchement, certains jours, j’ai envie de sauter sur mon balai et de quitter cet endroit », ou bien : « Encore un cours comme celui-là et je file façon Weasley. »
Fred et George avaient pris les dispositions nécessaires pour qu’on ne les oublie pas de sitôt. Tout d’abord, ils n’avaient laissé aucune instruction sur la façon de faire disparaître le marécage qui occupait le couloir du cinquième étage de l’aile est. On avait vu Ombrage et Rusard essayer divers moyens, mais sans succès. Finalement, le secteur fut interdit d’accès et l’on confia à Rusard, qui grinçait furieusement des dents, la tâche de faire passer les étudiants d’une classe à l’autre en les transportant dans un bac à fond plat. Harry ne doutait pas que des professeurs comme McGonagall ou Flitwick étaient parfaitement capables de débarrasser le couloir de son marécage mais, apparemment, ils préféraient voir Ombrage se débrouiller seule, comme le jour où Fred et George avaient rempli le château de leurs Feuxfous Fuseboum.
Ensuite, il y avait les deux gros trous en forme de balai, sur la porte du bureau d’Ombrage, là où les Brossdur de Fred et de George étaient passés en force pour rejoindre leurs maîtres. Rusard installa une nouvelle porte et descendit l’Éclair de feu de Harry dans les cachots où, selon la rumeur, Ombrage avait posté un troll armé pour le garder. Les ennuis d’Ombrage, cependant, étaient loin d’être terminés.
Stimulés par l’exemple de Fred et de George, bon nombre d’élèves étaient entrés en compétition pour occuper les postes désormais vacants de chahuteurs-en-chef. En dépit de la nouvelle porte, quelqu’un avait réussi à glisser dans le bureau d’Ombrage un Niffleur au museau velu. La créature avait très vite saccagé l’endroit, à la recherche d’objets brillants, et avait sauté sur Ombrage dès son retour dans le bureau pour essayer de lui arracher à coups de dents les bagues qui ornaient ses doigts boudinés. Des Bombabouses et des boules puantes étaient si fréquemment jetées dans les couloirs que la nouvelle mode consistait à s’appliquer un sortilège de Têtenbulle avant de quitter chaque classe, ce qui donnait l’apparence bizarre de porter sur la tête un bocal à poissons rouges renversé mais permettait au moins de respirer.
Rusard rôdait dans les couloirs, une cravache à la main, dans l’espoir de surprendre les coupables mais ils étaient à présent si nombreux qu’il ne savait plus où donner de la tête. La brigade inquisitoriale s’efforçait de l’aider mais ses membres étaient victimes d’étranges phénomènes. Warrington, de l’équipe de Quidditch de Serpentard, se présenta un jour à l’infirmerie en se plaignant d’une horrible affection de la peau qui lui donnait l’air d’être recouvert de corn flakes. Le lendemain, Pansy Parkinson, pour le plus grand bonheur d’Hermione, dut renoncer à se rendre en classe en raison des cornes de cerf qui lui avaient poussé sur la tête.
Dans le même temps, on eut une idée du nombre impressionnant de boîtes à Flemme que Fred et George avaient réussi à vendre avant de partir. Il suffisait à Ombrage d’entrer dans sa classe pour que se multiplient les évanouissements, les vomissements, les fièvres violentes ou les saignements de nez. Hurlant de rage, elle essayait de remonter à la source des mystérieux symptômes mais les élèves s’obstinaient à lui répondre qu’ils souffraient simplement d’« ombragite chronique ». Après avoir infligé à quatre de ses classes une retenue collective sans avoir réussi à découvrir leur secret, elle dut abandonner la partie et autoriser ses élèves ruisselants de sueur ou de sang, saisis de syncopes ou de nausées, à quitter la classe par groupes entiers.
Mais même les adeptes de la boîte à Flemme ne pouvaient rivaliser avec le maître du chaos, Peeves, qui semblait avoir pris très à cœur les dernières paroles prononcées par Fred avant son départ. Dans des caquètements démentiels, il volait à travers toute l’école en renversant les tables, surgissant des tableaux noirs, projetant à terre statues et vases. À deux reprises, il enferma Miss Teigne à l’intérieur d’une armure dont elle fut délivrée, dans un concert de miaulements, par le concierge furieux. Peeves fracassait les lanternes, éteignait les chandelles, terrorisait des élèves en jonglant au-dessus de leurs têtes avec des torches enflammées, faisait tomber par la fenêtre ou dans les feux de cheminée des liasses de parchemins soigneusement empilés. Il inonda le deuxième étage en ouvrant tous les robinets des salles de bains, jeta un sac de tarentules au milieu de la Grande Salle pendant le petit déjeuner et, dans ses moments de repos, voletait derrière Ombrage des heures durant, en lançant des bruits grossiers chaque fois qu’elle essayait de parler.
En dehors de Rusard, personne, parmi le personnel, ne remuait le petit doigt pour aider Ombrage. Une semaine après le départ de Fred et de George, Harry vit le professeur McGonagall passer devant Peeves, occupé à détacher du plafond un lustre de cristal, et aurait juré l’avoir entendue dire du coin des lèvres à l’esprit frappeur : « Il faut le dévisser dans l’autre sens. »
Pour couronner le tout, Montague ne s’était toujours pas remis de son séjour dans les toilettes. Il restait plongé dans la plus grande confusion et l’on vit un mardi matin ses parents, en proie à une extrême fureur, remonter à grands pas l’allée qui menait au château.
— Tu crois qu’on devrait dire quelque chose ? demanda Hermione d’une voix inquiète, pendant le cours de sortilèges, la joue contre la vitre pour regarder Mr et Mrs Montague entrer dans le hall. À propos de ce qui lui est arrivé ? Ça pourrait peut-être aider Madame Pomfresh à le guérir ?
— Bien sûr que non, il s’en remettra tout seul, assura Ron d’un air indifférent.
— De toute façon, ça crée encore un peu plus d’ennuis à Ombrage, non ? fit remarquer Harry, satisfait.
Ron et lui tapotèrent du bout de leurs baguettes magiques les tasses de thé qu’ils étaient censés ensorceler. Harry fit apparaître quatre petites pattes qui gigotaient en vain, trop courtes pour atteindre la surface de la table. Ron parvint à produire quatre longues pattes filiformes qui hissèrent la tasse avec beaucoup de difficulté, tremblèrent pendant quelques secondes puis se dérobèrent. La tasse retomba brutalement et se cassa en deux.
— Reparo, dit aussitôt Hermione en donnant un coup de baguette magique à la tasse de Ron pour lui rendre sa forme première. C’est bien gentil, tout ça, mais imaginez que l’état de Montague soit permanent ?
— Et alors, qu’est-ce que ça peut faire ? répliqua Ron d’un ton irrité, tandis que sa tasse se redressait à nouveau sur ses pattes titubantes. Montague n’aurait pas dû essayer d’enlever tous ces points à Gryffondor, non ? Si tu tiens absolument à t’inquiéter pour quelqu’un, Hermione, inquiète-toi pour moi !
— Pour toi ? s’étonna-t-elle.
Elle rattrapa sa tasse qui trottinait joyeusement à la surface de la table, sur quatre petites pattes bien fermes semblables à de la porcelaine anglaise, et la remit devant elle.
— Pourquoi devrais-je m’inquiéter pour toi ?
Ron était obligé de tenir sa tasse en l’air pour aider ses pattes frêles et tremblantes à supporter son poids.
— Parce que quand la prochaine lettre de ma mère aura passé la censure d’Ombrage, répondit-il d’un ton amer, je vais avoir beaucoup d’ennuis. Je ne serais pas surpris qu’elle m’envoie encore une Beuglante.
— Mais…
— Tu verras qu’elle va trouver le moyen de dire que c’est ma faute si Fred et George sont partis, expliqua-t-il d’un air sombre. Elle racontera que j’aurais dû les retenir par le manche de leurs balais ou quelque chose dans ce genre-là… C’est sûr, ce sera entièrement ma faute.
— Si réellement elle disait ça, ce serait très injuste, tu n’y pouvais rien du tout ! Mais je suis sûre qu’elle ne le fera pas. Tu comprends, si c’est vrai qu’ils ont un local sur le Chemin de Traverse, ils avaient dû prévoir leur coup depuis très longtemps.
— Ça, c’est encore autre chose. Comment ont-ils fait pour avoir ces locaux ? dit Ron.
Il donna un coup de baguette si violent à sa tasse que ses pattes se dérobèrent à nouveau en se convulsant vainement.
— C’est un peu louche, non ? Il faut beaucoup de Gallions pour louer une boutique sur le Chemin de Traverse. Ma mère voudra savoir comment ils s’y sont pris pour se procurer ce tas d’or.
— Oui, j’y ai pensé aussi, dit Hermione.
Sa tasse gambadait en petits cercles autour de celle de Harry, toujours paralysée par ses pattes trop courtes.
— Je me suis demandé si Mondingus n’avait pas réussi à les convaincre de vendre des marchandises volées ou je ne sais quelle horreur.
— Ce n’est pas ça, dit sèchement Harry.
— Comment tu le sais ? demandèrent Ron et Hermione d’une même voix.
— Parce que…, hésita Harry.
Mais le moment d’avouer semblait venu. Il ne pouvait plus garder le silence si cela devait faire soupçonner Fred et George d’être des voleurs.
— Parce que c’est moi qui leur ai donné l’or que j’ai reçu pour le Tournoi des Trois Sorciers en juin dernier.
Il y eut un silence stupéfait puis la tasse d’Hermione, emportée par son élan, passa par-dessus le bord de la table et s’écrasa par terre.
— Oh, Harry, tu n’as pas fait ça ? s’exclama Hermione.
— Si, je l’ai fait, répliqua-t-il d’un air rebelle, et je ne le regrette pas. Je n’avais pas besoin de cet or et eux seront d’excellents marchands de farces et attrapes.
— Mais c’est formidable ! s’exclama Ron, l’air ravi. Du coup, c’est entièrement ta faute, Harry… Ma mère ne peut rien me reprocher ! Tu veux bien que je le lui dise ?
— Je crois qu’il vaudrait mieux, répondit Harry avec lassitude. Surtout si elle s’imagine qu’ils font du trafic de chaudrons volés ou quelque chose dans ce genre-là.
Hermione resta silencieuse jusqu’à la fin du cours, mais Harry soupçonnait fortement que sa réserve serait de courte durée. Et en effet, à l’heure de la récréation, lorsqu’ils se retrouvèrent dans la cour sous un pâle soleil de mai, elle fixa Harry avec un regard perçant et ouvrit la bouche d’un air décidé.
Mais il ne lui laissa pas le temps de prononcer un mot.
— Ça ne sert à rien de m’accabler de reproches, ce qui est fait est fait, assura-t-il d’un ton ferme. Fred et George ont leur or – il semblerait d’ailleurs qu’ils en aient déjà dépensé une bonne partie – et je ne pourrais plus le récupérer même si j’en avais envie, ce qui n’est pas le cas. Alors, épargne ta salive, Hermione.
— Je n’avais pas l’intention de dire quoi que ce soit au sujet de Fred et de George ! répliqua-t-elle d’un air blessé.
Ron eut un petit rire incrédule et Hermione lui lança un regard assassin.
— C’est vrai ! affirma-t-elle avec colère. En fait, je voulais demander à Harry quand il irait voir Rogue pour lui demander de reprendre les cours d’occlumancie !
Harry sentit son cœur chavirer. Après avoir parlé des heures entières du départ spectaculaire de Fred et de George, et avoir à peu près épuisé le sujet, Ron et Hermione lui avaient demandé des nouvelles de Sirius. Comme Harry ne leur avait pas révélé la raison pour laquelle il s’était obstiné à vouloir lui parler, il avait eu du mal à trouver quelque chose à leur répondre et avait fini par leur dire, en toute vérité, que Sirius tenait à ce qu’il reprenne ses leçons d’occlumancie. Il n’avait cessé de le regretter depuis : Hermione, en effet, était bien décidée à revenir sur la question aux moments où Harry s’y attendait le moins.
— N’essaye pas de me faire croire que tes rêves bizarres sont terminés, lui dit-elle. Ron m’a raconté que tu marmonnais dans ton sommeil la nuit dernière.
Harry lança un regard furieux à Ron qui eut le bon goût de prendre un air honteux.
— Oh, tu marmonnais juste un peu, balbutia-t-il sur un ton d’excuse. Tu disais quelque chose dans le genre : « un peu plus loin »…
— J’ai rêvé que je vous regardais tous jouer au Quidditch, mentit Harry d’une voix brusque. Et j’essayais de te dire d’aller un peu plus loin pour bloquer le Souafle.
Les oreilles de Ron devinrent écarlates. Harry éprouva une sorte de plaisir vengeur. Bien entendu, il n’avait jamais fait un tel rêve.
La nuit précédente, il avait suivi l’habituel trajet le long du couloir du Département des mystères. Il avait traversé la pièce circulaire, puis celle où l’on entendait un cliquetis et où des taches de lumière dansaient sur les murs, puis il s’était retrouvé dans la vaste salle remplie d’étagères sur lesquelles s’alignaient des sphères poussiéreuses en verre filé.
Il s’était précipité droit sur la rangée numéro quatre-vingt-dix-sept, avait tourné à gauche, et couru dans l’allée… C’était sans doute à ce moment-là qu’il avait parlé dans son sommeil… « Un peu plus loin »… car son moi conscient luttait pour se réveiller… et avant qu’il n’eût atteint le fond de la rangée, il s’était retrouvé étendu les yeux grands ouverts à contempler le ciel-de-lit de son baldaquin.
— Tu essayes vraiment de fermer ton esprit, n’est-ce pas ? demanda Hermione en regardant Harry d’un œil pénétrant. Tu continues de t’exercer à l’occlumancie ?
— Bien sûr, répondit-il.
Le ton de sa voix laissait entendre qu’il trouvait la question insultante mais il n’avait quand même pas osé croiser le regard d’Hermione. En vérité, il était si curieux de voir ce qui se cachait dans cette pièce remplie de sphères poussiéreuses qu’il avait envie de voir son rêve se prolonger.
Mais, à moins d’un mois de l’examen, il devait consacrer chaque instant libre à ses révisions et son esprit semblait si saturé d’informations diverses qu’il avait beaucoup de mal à s’endormir quand il allait se coucher. Et lorsqu’il se laissait enfin gagner par le sommeil, son cerveau surmené ne produisait la plupart du temps que des rêves stupides liés aux examens. Il soupçonnait également cette partie de son esprit – celle qui lui parlait parfois avec la voix d’Hermione – de se sentir coupable quand il s’égarait dans le couloir qui menait à la porte noire et de chercher alors à le réveiller avant la fin du voyage.
— Tu sais, dit Ron, les oreilles toujours rouge vif, si Montague ne se remet pas avant le match de Serpentard contre Poufsouffle, nous avons peut-être encore une chance de gagner la coupe.
— Oui, c’est possible, dit Harry, content de pouvoir changer de sujet.
— On a gagné un match, on en a perdu un. Si Serpentard perd contre Poufsouffle samedi prochain…
— Oui, tu as raison, dit Harry qui ne savait plus très bien ce qu’il était en train d’approuver.
Cho Chang venait de traverser la cour en prenant bien soin de ne pas le regarder.
Le dernier match de Quidditch de la saison, Gryffondor contre Serdaigle, devait avoir lieu le dernier week-end de mai. Bien que Serpentard eût été battu de peu par Poufsouffle au cours de la dernière rencontre, Gryffondor ne pouvait espérer la victoire, en raison principalement (même si, bien sûr, personne n’osait le lui dire) du nombre phénoménal de buts que Ron encaissait à chaque fois. Il semblait cependant avoir trouvé une nouvelle forme d’optimisme.
— En fait, je ne peux pas être pire que ça, non ? dit-il d’un air sinistre à Harry et à Hermione pendant le petit déjeuner, le matin du match. On n’a plus rien à perdre.
— Tu sais, dit Hermione alors qu’elle se rendait avec Harry sur le terrain au milieu d’une foule surexcitée, je crois que Ron jouera peut-être mieux, maintenant que Fred et George ne sont plus là. Ils ne lui ont jamais donné une très grande confiance en lui.
Luna Lovegood les rattrapa. Elle portait sur la tête quelque chose qui se révéla être un aigle vivant.
— Oh, là, là, j’avais oublié, dit Hermione en regardant l’aigle battre des ailes tandis que Luna passait d’un air serein devant des supporters de Serpentard qui la montraient du doigt en gloussant. Cho va jouer dans l’équipe de Serdaigle, non ?
Harry, lui, n’avait pas oublié ce détail et se contenta de répondre par un grognement.
Ils trouvèrent des places à l’avant-dernier rang des gradins. C’était une belle journée au ciel clair. Ron n’aurait pu souhaiter mieux et Harry se surprit à espérer qu’il ne donnerait plus de raisons aux Serpentard de chanter à nouveau Weasley est notre roi.
Lee Jordan, qui paraissait très démoralisé depuis le départ de Fred et de George, commentait le match comme à son habitude. Mais lorsque les équipes arrivèrent sur le terrain, il donna le nom des joueurs avec un peu moins d’entrain qu’à l’ordinaire.
— … Bradley… Davies… Chang, annonça-t-il.
Cette fois, l’estomac de Harry ne fit plus de saut périlleux. Il eut tout juste un faible spasme lorsque Cho arriva sur le terrain, ses cheveux noirs et brillants ondulant dans une légère brise. Harry ne savait plus très bien ce qu’il désirait à son sujet, la seule chose certaine, c’était qu’il ne pouvait plus supporter les disputes. Même lorsqu’il la vit parler avec animation à Roger Davies, au moment où ils s’apprêtaient à enfourcher leurs balais, il ne ressentit qu’une très vague pointe de jalousie.
— Et les voilà partis ! annonça Lee. Davies prend immédiatement le Souafle, Davies, le capitaine de Serdaigle, en possession du Souafle, il évite Johnson, il évite Bell, il évite Spinnet… Il fonce droit vers les buts ! Il va tirer et… et… – Lee poussa un juron sonore – et il marque.
Harry et Hermione poussèrent un gémissement en même temps que les autres supporters de Gryffondor. Comme c’était à prévoir, les Serpentard, de l’autre côté du stade, se mirent à chanter leur horrible refrain :
Weasley est un
grand maladroit
Il rate son coup à chaque fois…
— Harry, Hermione, dit alors une voix rauque à leur oreille.
Harry se retourna et vit l’énorme tête barbue de Hagrid qui dépassait d’entre les sièges. Apparemment, il s’était glissé tant bien que mal le long de la rangée située juste derrière eux car les première et les deuxième année devant lesquels il était passé avaient un petit air chiffonné et aplati. Pour une raison qu’ils ignoraient, Hagrid s’était penché à angle droit, comme s’il tenait à passer inaperçu. Mais même dans cette position, il mesurait un bon mètre de plus que n’importe qui d’autre.
— Écoutez, murmura-t-il, est-ce que vous pourriez venir avec moi ? Maintenant ? Pendant que tout le monde regarde le match ?
— Heu… Ça ne peut pas attendre, Hagrid ? demanda Harry. Jusqu’à la fin du match ?
— Non, répondit-il. Non, Harry, il faut que ce soit tout de suite… Pendant que tous les autres regardent ailleurs… S’il vous plaît…
Des gouttes de sang coulaient lentement de son nez et il avait les deux yeux au beurre noir. Harry ne l’avait pas vu d’aussi près depuis son retour à l’école. Il paraissait complètement abattu.
— Bien sûr, dit aussitôt Harry. On va venir.
Hermione et lui remontèrent leur rangée de sièges, provoquant des grognements chez les spectateurs obligés de se lever pour les laisser passer. Dans la rangée de Hagrid, il n’y eut aucune plainte et tout le monde essaya de se faire le plus petit possible.
— C’est vraiment gentil de votre part, à tous les deux, dit Hagrid lorsqu’ils eurent atteint l’escalier.
Il continua à lancer des regards inquiets autour de lui pendant qu’ils descendaient les marches.
— J’espère qu’elle ne va pas nous voir partir.
— Vous voulez parler d’Ombrage ? dit Harry. Elle ne verra rien du tout, elle est entourée de sa brigade inquisitoriale au complet, vous ne l’avez pas vue ? Elle doit s’attendre à des incidents pendant le match.
— Oh, quelques incidents, ça ferait pas de mal, dit Hagrid.
Il s’arrêta et jeta un coup d’œil derrière les gradins pour s’assurer que la pelouse qui s’étendait jusqu’à sa cabane était déserte.
— Ça nous donnerait un peu plus de temps.
— Que se passe-t-il, Hagrid ? demanda Hermione.
Elle l’observa d’un air anxieux tandis qu’ils se hâtaient en direction de la forêt.
— Vous allez voir ça dans un moment, répondit Hagrid en regardant par-dessus son épaule.
Des acclamations s’élevèrent des gradins, derrière eux.
— Hé… Quelqu’un vient de marquer ?
— Sûrement Serdaigle, dit Harry d’un ton accablé.
— Bien… Très bien, commenta Hagrid, distrait. C’est très bien…
Sans cesser de jeter des coups d’œil autour de lui, Hagrid traversait la pelouse à grandes enjambées et Harry et Hermione durent courir pour se maintenir à sa hauteur. Lorsqu’ils arrivèrent devant la cabane, Hermione tourna machinalement à gauche, en direction de la porte, mais Hagrid poursuivit son chemin tout droit jusqu’à l’ombre des arbres, en lisière de la forêt. Là, il ramassa une arbalète posée contre un tronc. Lorsqu’il s’aperçut qu’ils n’étaient plus avec lui, il se tourna vers eux.
— On va par là, dit-il en désignant la forêt de sa tête hirsute.
— Dans la Forêt interdite ? demanda Hermione, perplexe.
— Oui, répondit Hagrid. Venez vite avant que quelqu’un nous voie !
Harry et Hermione échangèrent un regard puis s’enfoncèrent sous le couvert des arbres, derrière Hagrid qui avançait déjà à grands pas sous les feuillages sinistres, son arbalète à la main. Harry et Hermione coururent pour le rattraper.
— Hagrid, pourquoi êtes-vous armé ? interrogea Harry.
— Simple précaution, répondit-il en haussant ses épaules massives.
— Vous n’aviez pas emporté votre arbalète le jour où vous nous avez montré les Sombrals, dit timidement Hermione.
— On n’allait pas aussi loin, ce jour-là. Et puis, c’était avant que Firenze quitte la forêt.
— Qu’est-ce que ça change, le départ de Firenze ? demanda Hermione avec curiosité.
— Ça change que les autres centaures sont fous de rage contre moi, répondit Hagrid à mi-voix en surveillant les alentours. Avant, ils étaient… − enfin bon, on ne peut pas vraiment dire amicaux, mais on s’entendait bien. Ils restaient entre eux mais ne refusaient jamais de me voir si j’avais besoin de leur parler. C’est fini, maintenant.
Il poussa un profond soupir.
— Firenze nous a expliqué qu’ils sont en colère parce qu’il a accepté de travailler pour Dumbledore, dit Harry.
Les yeux fixés sur le profil de Hagrid, il trébucha contre une racine qu’il n’avait pas vue.
— Oui, dit Hagrid d’un ton lourd. Mais en colère n’est pas le mot juste. En fait, ils sont dans une fureur noire. Si je ne m’en étais pas mêlé, ils auraient tué Firenze à coups de sabots…
— Ils l’ont attaqué ? demanda Hermione, choquée.
— Ouais, marmonna Hagrid en écartant des branches basses qui lui barraient le chemin. La moitié du troupeau lui est tombée dessus.
— Et vous les avez arrêtés ? dit Harry, ébahi et admiratif. À vous tout seul ?
— Bien sûr, je n’allais quand même pas rester là à attendre qu’ils l’aient tué, non ? répliqua Hagrid. C’est une chance que je me sois trouvé pas très loin… Et j’aurais pensé que Firenze s’en souviendrait avant de m’envoyer ses stupides avertissements ! ajouta-t-il brusquement d’un ton enflammé.
Surpris, Harry et Hermione échangèrent un regard mais Hagrid, l’air renfrogné, ne donna pas de détails.
— En tout cas, dit-il, la respiration un peu plus profonde que d’habitude, depuis cette histoire, les autres centaures sont furieux contre moi et l’ennui, c’est qu’ils ont beaucoup d’influence, dans la forêt… Ce sont les créatures les plus intelligentes, ici.
— C’est à cause d’eux que vous nous avez fait venir, Hagrid ? Les centaures ?
— Oh non, répondit-il en hochant la tête. Non, ce n’est pas à cause d’eux. Oh, bien sûr, ils pourraient compliquer les choses, c’est vrai… Mais vous verrez ce que je veux dire dans un petit moment.
Sur ces paroles incompréhensibles, il se tut et accéléra le pas. Chacune de ses enjambées équivalait à trois des leurs et ils eurent beaucoup de mal à suivre son allure.
Le sentier était de plus en plus envahi par la végétation et les arbres devenaient si touffus à mesure qu’ils avançaient dans la forêt qu’on avait l’impression d’être à la tombée de la nuit. Bientôt, ils eurent dépassé de très loin la clairière où Hagrid leur avait montré les Sombrals. Harry n’avait ressenti aucune appréhension jusqu’au moment où Hagrid s’écarta inopinément du chemin et s’enfonça parmi les arbres vers le cœur obscur de la forêt.
— Hagrid ! Où allons-nous ? s’inquiéta Harry.
Il luttait pour se frayer un passage à travers d’épaisses ronces enchevêtrées que Hagrid avait piétinées sans difficulté. Harry avait un souvenir encore très vif de ce qui lui était arrivé la dernière fois qu’il s’était écarté du sentier.
— Un peu plus loin, répondit Hagrid par-dessus son épaule. Viens Harry, il faut qu’on reste groupés, maintenant.
Marcher au rythme de Hagrid représentait un combat de tous les instants. Les branches et les buissons d’épines qu’il écartait aussi facilement que s’il s’était agi de toiles d’araignée se prenaient dans les robes de Harry et d’Hermione en s’y accrochant avec tant de force qu’ils devaient s’arrêter un bon moment pour s’en libérer. Les bras et les jambes de Harry furent bientôt couverts d’entailles et d’égratignures. L’obscurité de la forêt était telle à présent que Hagrid n’était plus par moments qu’une forme noire et massive qui avançait devant eux. Dans le silence étouffé, le moindre son paraissait menaçant. Le craquement d’une brindille résonnait bruyamment et le plus modeste froissement, fût-il le fait d’un simple moineau, incitait Harry à scruter la pénombre à la recherche du coupable. Il songea que jamais encore il n’était allé aussi loin dans la forêt sans rencontrer de quelconques créatures. Leur absence ne lui semblait pas un bon signe.
— Hagrid, vous croyez qu’on pourrait allumer nos baguettes magiques ? demanda Hermione à voix basse.
— Heu… Oui, d’accord, répondit-il dans un murmure. En fait…
Il s’immobilisa soudain et se retourna. Poursuivant sur sa lancée, Hermione le heurta de plein fouet et fut projetée en arrière. Harry la rattrapa de justesse avant qu’elle ne s’étale par terre.
— Peut-être qu’il vaudrait mieux s’arrêter un moment pour que je puisse… vous mettre au courant, dit Hagrid. Avant qu’on arrive là-bas.
— Très bien, dit Hermione tandis que Harry l’aidait à retrouver son équilibre.
— Lumos ! murmurèrent-ils tous deux et l’extrémité de leurs baguettes s’alluma aussitôt.
Le visage de Hagrid flotta dans l’obscurité, éclairé par les deux rayons lumineux, et Harry le vit à nouveau triste et inquiet.
— Bon, alors, reprit Hagrid, voilà…
Il prit une profonde inspiration.
— Il y a de fortes chances que je sois renvoyé d’un moment à l’autre.
Harry et Hermione échangèrent un regard puis se tournèrent à nouveau vers lui.
— Vous êtes resté jusqu’à maintenant, risqua Hermione, qu’est-ce qui vous fait penser que… ?
— Ombrage croit que c’est moi qui ai mis ce Niffleur dans son bureau.
— Et c’est vrai ? demanda Harry avant d’avoir pu s’en empêcher.
— Ah non, ça, sûrement pas ! s’indigna Hagrid. Mais dès qu’il y a une créature magique dans le coup, elle croit que c’est moi. Depuis que je suis revenu, elle cherche un prétexte pour se débarrasser de moi. Je n’ai pas envie de partir, bien sûr, mais s’il n’y avait pas… heu… les circonstances particulières que je vais vous expliquer, je m’en irais tout de suite, avant de lui laisser l’occasion de me chasser devant toute l’école, comme elle l’a fait avec Trelawney.
Harry et Hermione se récrièrent mais Hagrid les fit taire en agitant l’une de ses énormes mains.
— Oh, ce n’est pas la fin du monde, je pourrai aider Dumbledore quand je serai parti d’ici. Je peux être utile à l’Ordre. Et vous autres, vous aurez Gobe-Planche, vous… vous n’aurez pas de mal à passer vos examens…
Sa voix trembla et se brisa.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, dit-il précipitamment alors qu’Hermione s’apprêtait à lui tapoter le bras.
Il sortit de la poche de son gilet un immense mouchoir à pois et se tamponna les yeux.
— Écoutez, je ne vous raconterais pas tout ça si je n’y étais pas obligé. Vous comprenez, si je m’en vais… je ne peux pas partir sans… sans dire à quelqu’un… Parce que je… je vais avoir besoin de vous deux pour m’aider. Et de Ron aussi, s’il veut bien.
— Bien sûr qu’on va vous aider, dit aussitôt Harry. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ?
Hagrid renifla bruyamment et tapota sans un mot l’épaule de Harry avec une telle force qu’il fut projeté contre un arbre.
— Je savais que vous accepteriez, dit Hagrid, plongé dans son mouchoir, mais je… n’oublierai… jamais… allez… venez… c’est un peu plus loin, là-bas… faites attention, il y a des orties…
Ils continuèrent à marcher en silence pendant encore un quart d’heure. Au moment où Harry ouvrait la bouche pour demander si c’était encore loin, Hagrid tendit son bras droit pour leur faire signe de s’arrêter.
— Attention, dit-il à voix basse, pas de bruit…
Ils avancèrent avec précaution et Harry aperçut un grand monticule de terre lisse presque aussi haut que Hagrid. De toute évidence, songea-t-il avec une frayeur soudaine, il s’agissait de la tanière d’un énorme animal. Des arbres avaient été déracinés tout autour et leurs troncs entassés formaient une sorte de clôture, ou plutôt de barricade, derrière laquelle ils se tenaient à présent tous les trois.
— Il dort, chuchota Hagrid.
Harry entendait en effet une sorte de grondement lointain et régulier qui faisait penser à la respiration de gigantesques poumons. Il jeta un regard en biais à Hermione qui fixait le monticule, la bouche entrouverte. Elle paraissait terrifiée.
— Hagrid, dit-elle dans un murmure que le son produit par la créature endormie rendait à peine audible. Qui est-ce ?
Harry trouva la question étrange. Il aurait plutôt songé à demander : « Qu’est-ce que c’est ? »
— Hagrid, vous nous aviez dit… balbutia Hermione, sa baguette magique tremblant dans sa main. Vous nous aviez dit qu’aucun d’entre eux n’avait voulu venir !
Harry regarda successivement Hermione, puis Hagrid. Comprenant soudain, il se tourna à nouveau vers le monticule et étouffa une exclamation horrifiée.
La surface du monticule de terre sur lequel Hermione, Hagrid et lui auraient pu aisément se tenir côte à côte s’élevait et s’abaissait au rythme de la respiration rauque et profonde qu’ils entendaient. En fait, ce n’était pas du tout un monticule. C’était le dos arrondi d’un…
— Justement, il ne voulait pas venir, dit Hagrid d’un ton désespéré. Mais il fallait que je l’emmène, Hermione, il le fallait !
— Pourquoi donc ? demanda Hermione qui paraissait au bord des larmes. Pourquoi… Qu’est-ce que… oh, Hagrid !
— J’étais sûr que si j’arrivais à le ramener, expliqua Hagrid, lui-même proche des larmes, et à lui apprendre un peu de bonnes manières, je pourrais le sortir et montrer à tout le monde qu’il est inoffensif !
— Inoffensif ! s’exclama Hermione d’une voix suraiguë.
Hagrid agita frénétiquement les mains pour la faire taire alors que l’énorme créature poussait un grognement sonore et changeait de position dans son sommeil.
— C’est lui qui vous donnait des coups, n’est-ce pas ? C’est pour ça que vous avez toutes ces blessures !
— Il ne connaît pas sa force ! répondit Hagrid avec conviction. Mais il fait des progrès, il se bat beaucoup moins…
— Voilà donc la raison pour laquelle vous avez mis deux mois à revenir ! dit Hermione, effarée. Oh, Hagrid, pourquoi l’avez-vous amené, s’il ne voulait pas venir ? N’aurait-il pas été plus heureux avec son propre peuple ?
— Ils n’arrêtaient pas de le brutaliser, Hermione, dit Hagrid. Il est si petit !
— Petit ? répéta Hermione. Petit ?
— Je ne pouvais pas l’abandonner…, gémit Hagrid.
Des larmes coulaient à présent sur son visage meurtri et disparaissaient dans sa barbe.
— Tu comprends, c’est mon frère !
Hermione le regarda bouche bée.
— Hagrid, quand vous dites « mon frère », ça signifie… demanda Harry d’une voix lente.
— Enfin bon, mon demi-frère, rectifia Hagrid. Il se trouve que ma mère est partie avec un autre géant quand elle a quitté mon père et c’est à ce moment-là qu’elle a eu Graup…
— Graup ? s’étonna Harry.
— Oui… En tout cas, c’est ce qu’on comprend quand il dit son nom, répondit Hagrid d’un air anxieux. Il ne parle pas très bien anglais… J’ai essayé de lui apprendre… Ma mère n’a pas l’air de l’avoir aimé beaucoup plus que moi. Vous savez, avec les géantes, ce qui compte c’est de faire de beaux gros enfants et lui, pour un géant, il est plutôt du genre avorton… Il ne mesure que cinq mètres…
— Oh oui, c’est minuscule ! remarqua Hermione avec une sorte de rire nerveux. Absolument minuscule !
— Les autres n’arrêtaient pas de le maltraiter… Je ne pouvais pas l’abandonner…
— Madame Maxime était d’accord pour le ramener ? demanda Harry.
— Elle… enfin, elle voyait bien que c’était très important pour moi, répondit Hagrid en tordant ses énormes mains. Mais, au bout d’un moment, elle en a eu un peu assez, je dois l’avouer… Alors, on s’est séparés et on est rentrés chacun de notre côté… Mais elle a promis qu’elle n’en parlerait à personne…
— Et comment avez-vous fait pour le ramener sans que personne le remarque ? interrogea Harry.
— C’est pour ça qu’il m’a fallu si longtemps. On ne pouvait voyager que la nuit et en pleine nature. Bien sûr, il avale pas mal de kilomètres quand il veut, mais il avait toujours envie de revenir chez lui.
— Oh, Hagrid, pourquoi ne l’avez-vous pas laissé partir ? se lamenta Hermione.
Elle s’effondra sur le tronc d’un arbre déraciné et enfouit son visage dans ses mains.
— Qu’est-ce que vous allez bien pouvoir faire avec un géant violent qui n’a même pas envie de rester ici ?
— Oh, violent… c’est un peu fort, dit Hagrid qui continuait de se tordre les mains. J’admets qu’il m’a donné quelques coups de poing quand il était de mauvaise humeur mais il fait des progrès, de gros progrès, il est beaucoup plus calme…
— Et ces cordes, elles servent à quoi ? demanda Harry.
Il venait de remarquer d’épaisses cordes attachées aux troncs des plus gros arbres alentour et qui s’étiraient jusqu’à l’endroit où Graup était pelotonné sur le sol, le dos tourné vers eux.
— Vous êtes obligé de l’attacher ? dit Hermione d’une voix faible.
— Ah ben, oui…, répondit Hagrid, anxieux. Vous comprenez… c’est comme je le disais… Il ne connaît pas sa force.
Harry comprenait à présent la raison de l’étrange absence d’autres créatures dans cette partie de la forêt.
— Alors, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? demanda Hermione avec appréhension.
— Que vous vous occupiez de lui, répondit Hagrid d’une voix rauque. Quand je serai parti.
Harry et Hermione échangèrent des regards accablés. Avec un certain malaise, Harry songea qu’il avait déjà promis à Hagrid de faire tout ce qu’il lui demanderait.
— Et heu… en… en quoi ça consiste, exactement ? s’inquiéta Hermione.
— Oh, il n’a pas besoin qu’on lui donne à manger ! répondit précipitamment Hagrid. Il se débrouille pour trouver sa nourriture tout seul, des oiseaux, des cerfs, tout ça… Non, il a surtout besoin de compagnie. Si je pouvais être sûr que quelqu’un continue à l’aider un peu… à lui apprendre des choses, vous comprenez ?
Sans dire un mot, Harry se retourna vers la silhouette gigantesque endormie sur le sol. À la différence de Hagrid, qui avait simplement l’apparence d’un homme de très grande taille, Graup était, étrangement difforme. Ce que Harry avait pris pour un gros rocher couvert de mousse, à gauche du monticule, était en réalité la tête de Graup. Beaucoup plus grande par rapport à son corps que celle d’un humain, elle était parfaitement ronde et recouverte d’une toison de boucles courtes et serrées d’une couleur de fougère. L’ourlet d’une oreille unique, grande et charnue, était visible au sommet de sa tête qui paraissait attachée directement aux épaules comme s’il n’avait quasiment pas eu de cou, à la manière de l’oncle Vernon. Son dos, recouvert d’une espèce de blouse sale et brunâtre constituée de peaux de bêtes grossièrement cousues, était très large et semblait mettre à mal les coutures rudimentaires qui maintenaient les peaux attachées. Les jambes étaient repliées sous le corps et Harry voyait la plante de ses énormes pieds, nus et crasseux, semblables à deux luges posées l’une sur l’autre.
— Vous voulez qu’on lui apprenne des choses ? dit Harry d’une voix caverneuse.
Il comprenait maintenant ce que signifiait l’avertissement de Firenze. « Sa tentative est vouée à l’échec. Il ferait mieux d’abandonner. » Bien sûr, toutes les autres créatures de la forêt avaient dû entendre parler des vains efforts de Hagrid pour apprendre l’anglais à Graup.
— Oui, même si vous lui parlez juste un petit peu, répondit Hagrid avec espoir. Je me dis que s’il a l’occasion de bavarder avec des gens, il comprendra mieux qu’on l’aime vraiment et qu’on tient à le garder parmi nous.
Harry lança un coup d’œil à Hermione qui le regarda à son tour à travers ses doigts écartés.
— Ça nous ferait presque regretter Norbert le dragon, dit-il et Hermione fut secouée d’un petit rire.
— Alors, vous voulez bien le faire ? demanda Hagrid qui ne semblait pas avoir entendu ce que Harry venait de dire.
— Nous allons…, répondit Harry, déjà lié par sa promesse. Nous allons essayer.
— Je savais que je pouvais compter sur toi, Harry, dit Hagrid.
Il eut un sourire larmoyant et s’épongea à nouveau le visage avec son mouchoir.
— Mais je ne veux pas que tu te donnes trop de mal… Je sais bien qu’il y a les examens… Si tu pouvais juste venir faire un tour avec ta cape d’invisibilité, disons une fois par semaine, et bavarder un peu avec lui… Bon, je vais le réveiller maintenant… Pour vous présenter…
— Que, quoi… non ! s’exclama Hermione en se levant d’un bond. Hagrid, non, ne le réveillez pas, nous n’avons vraiment pas besoin de…
Mais Hagrid avait déjà enjambé le grand tronc d’arbre couché devant eux et s’avançait vers Graup. Lorsqu’il fut arrivé à environ trois mètres, il ramassa par terre une longue branche cassée, adressa par-dessus son épaule un sourire rassurant à Harry et à Hermione puis donna un coup sec dans le dos de Graup avec l’extrémité de la branche.
Le géant poussa un rugissement qui résonna dans le silence de la forêt. Des oiseaux posés au faîte des arbres s’envolèrent en pépiant tandis que sous les yeux de Harry et d’Hermione, le géant faisait trembler le sol en y posant sa main énorme pour s’aider à se redresser sur les genoux. Il tourna la tête pour voir ce qui l’avait dérangé.
— Ça va, Graupy ? dit Hagrid d’une voix faussement joyeuse.
Il recula en brandissant sa branche, prêt à en donner un nouveau coup à Graup.
— Tu as bien dormi ?
Harry et Hermione battirent en retraite le plus loin possible sans perdre le géant de vue. Graup s’était agenouillé entre deux arbres qu’il n’avait pas encore déracinés. Ils contemplèrent sa tête ronde et immense qui ressemblait à une pleine lune grisâtre, suspendue dans l’obscurité de la clairière. C’était comme si ses traits avaient été taillés dans une grosse boule de pierre : Le nez était court, informe, la bouche de travers et pleine de dents jaunes et irrégulières de la taille d’une brique. À moitié collés par le sommeil, ses yeux, petits pour un géant, avaient la couleur marron-vert de la vase. Graup leva ses grosses mains et se frotta vigoureusement les paupières avec des jointures aussi grosses qu’une balle de cricket puis, soudain, il se mit debout avec une rapidité et une agilité surprenantes.
— Oh, là, là, couina Hermione, terrifiée, à côté de Harry.
Les arbres auxquels étaient attachées les cordes qui retenaient Graup par les poignets et les chevilles grincèrent dangereusement. Comme Hagrid l’avait dit, il devait faire au moins cinq mètres de hauteur. Jetant un regard vitreux autour de lui, Graup tendit une main de la taille d’un parasol, attrapa un nid d’oiseau au sommet d’un grand pin et le retourna avec un rugissement mécontent en constatant qu’il ne contenait aucun oiseau. Des œufs tombèrent comme des grenades et Hagrid se protégea la tête de ses bras.
— Graupy, cria Hagrid en levant les yeux avec méfiance, de peur que d’autres œufs ne s’écrasent sur lui, j’ai amené des amis pour te les présenter. Souviens-toi, je t’en avais parlé. Tu te rappelles quand je t’ai dit que j’irais peut-être faire un petit voyage et que je leur demanderais de s’occuper de toi pendant quelque temps ? Tu te souviens de ça, Graupy ?
Mais Graup se contenta de pousser un nouveau rugissement. Il était difficile de savoir s’il écoutait Hagrid ou même s’il avait conscience que les sons émis par lui constituaient un langage articulé. Il avait saisi à présent le faîte de l’arbre et le tirait vers lui, pour le simple plaisir de voir jusqu’où il irait dans l’autre sens lorsqu’il le lâcherait.
— Non, Graupy, ne fais pas ça ! s’exclama Hagrid. C’est comme ça que tu as déraciné les autres…
Harry, en effet, voyait la terre se craqueler autour des racines du pin.
— Je t’ai amené un peu de compagnie ! cria Hagrid. De la compagnie, tu vois ? Regarde en bas, espèce de gros bouffon, je suis venu avec des amis !
— Oh, non, Hagrid, gémit Hermione.
Mais il avait déjà levé sa branche dont il donna un coup sur le genou de Graup.
Le géant lâcha l’arbre qui oscilla dangereusement et répandit sur Hagrid une pluie d’aiguilles de pin. Puis il baissa les yeux.
— Voici Harry, Graup ! dit Hagrid en se précipitant vers Harry et Hermione. Harry Potter ! Il viendra peut-être te voir si je dois m’en aller, tu as compris ?
Le géant venait seulement de s’apercevoir de la présence de Harry et d’Hermione qui le regardèrent avec une appréhension grandissante tandis qu’il baissait sa grosse tête en forme de rocher pour les observer d’un œil vitreux.
— Et voici Hermione, tu vois ? Herm…
Hagrid hésita puis lui demanda :
— Ça ne t’ennuie pas s’il t’appelle Hermy ? Ce sera plus facile pour lui de s’en souvenir.
— Non, non, pas du tout, répondit Hermione d’une petite voix aiguë.
— Voici Hermy, Graup ! Et elle aussi viendra te voir ! C’est bien, hein ? Ça te fait deux nouveaux amis… GRAUPY, NON !
La main de Graup avait soudain jailli vers elle. Harry attrapa Hermione et la projeta derrière un arbre. Le poing de Graup érafla le tronc mais se referma dans le vide.
— C’EST TRÈS VILAIN, GRAUPY ! s’écria Hagrid tandis qu’Hermione, tremblante et gémissante, se cramponnait à Harry. TRÈS VILAIN… IL NE FAUT PAS ESSAYER D’ATTRAPER… OUILLE !
Harry passa la tête derrière le tronc et vit Hagrid étendu par terre, une main sur le nez. Apparemment, Graup ne s’intéressait plus à lui et recommençait à tirer le sommet du pin le plus loin possible.
— Bien, dit Hagrid d’une voix pâteuse.
Il se releva, une main pinçant son nez pour l’empêcher de saigner, l’autre crispée sur son arbalète.
— Voilà, vous avez fait sa connaissance et… et maintenant il saura qui vous êtes quand vous reviendrez le voir… Bon, alors…
Il leva les yeux vers Graup qui continuait de tirer le pin vers lui avec une sorte de plaisir détaché. Dans un grincement, les racines commençaient à sortir du sol.
— Je pense que ça suffit pour aujourd’hui, dit Hagrid. On va… on va retourner là-bas, maintenant, d’accord ?
Harry et Hermione approuvèrent d’un signe de tête. Hagrid remit son arbalète sur son épaule en se pinçant toujours le nez et s’enfonça à nouveau parmi les arbres.
Personne ne dit rien pendant un bon moment, même quand ils entendirent un fracas lointain qui signifiait que Graup avait enfin réussi à déraciner le pin. Le visage d’Hermione était pâle, fermé, et Harry ne trouvait pas la moindre chose à dire. Qu’allait-il se passer lorsque quelqu’un découvrirait que Hagrid avait caché Graup dans la Forêt interdite ? En plus, il avait promis que Ron, Hermione et lui poursuivraient ses inutiles tentatives pour essayer de civiliser le géant. Comment Hagrid, même avec son extraordinaire capacité à se convaincre que des monstres aux dents pointues étaient en fait des créatures charmantes et inoffensives, avait-il pu nourrir l’illusion que Graup parviendrait jamais à se mêler aux humains ?
— Attendez, dit soudain Hagrid, au moment où Harry et Hermione se frayaient à grand-peine un chemin dans un enchevêtrement de hautes herbes.
Il sortit un carreau du carquois qu’il portait en bandoulière et en chargea l’arbalète. Harry et Hermione levèrent leurs baguettes magiques. Maintenant qu’ils avaient cessé de marcher, eux aussi entendaient un bruit proche.
— Oh, nom de nom, murmura Hagrid.
— Je croyais pourtant qu’on t’avait prévenu, dit une voix grave, que tu n’es plus le bienvenu, ici ?
Le torse nu d’un homme sembla flotter un instant devant eux dans la faible lumière verte qui tachetait les arbres. Puis ils virent que le torse s’articulait harmonieusement au corps d’un cheval au pelage brun. Le centaure avait un visage fier, aux pommettes hautes, encadré de longs cheveux noirs. Comme Hagrid, il était armé. Il portait à l’épaule un arc et un carquois rempli de flèches.
— Comment ça va, Magorian ? demanda Hagrid d’un air méfiant.
Les arbres bruissèrent et quatre ou cinq autres centaures apparurent derrière Magorian. Harry reconnut le corps noir et le visage barbu de Bane qu’il avait déjà vu quatre ans auparavant, la même nuit où il avait rencontré Firenze pour la première fois. Bane ne manifesta aucun signe indiquant qu’il reconnaissait Harry.
— Eh bien voilà, dit-il d’un ton mauvais avant de se tourner vers Magorian. Nous étions tombés d’accord, je crois, sur ce que nous ferions à cet humain si jamais il remettait les pieds dans la forêt ?
— Alors, maintenant, je suis « cet humain » ? répliqua Hagrid avec mauvaise humeur. Simplement parce que je vous ai empêchés de commettre un meurtre ?
— Tu n’aurais pas dû te mêler de nos affaires, Hagrid, reprit Magorian. Nos mœurs ne sont pas les vôtres, nos lois non plus. Firenze nous a trahis et déshonorés.
— Je ne sais pas où vous avez été chercher ça, répondit Hagrid, irrité. Il n’a rien fait d’autre que d’aider Dumbledore…
— Firenze a accepté de vivre dans la servitude imposée par les humains, dit un centaure gris au visage dur, creusé de rides profondes.
— Servitude ! s’exclama Hagrid d’un ton cinglant. Il rend service à Dumbledore, c’est tout…
— Il colporte notre savoir et nos secrets auprès des humains, dit Magorian à mi-voix. On ne peut pardonner une telle disgrâce.
— Si c’est toi qui le dis, répliqua Hagrid en haussant les épaules. Mais personnellement, je crois que vous faites une grosse erreur…
— Toi aussi, l’humain, lança Bane, tu fais une grosse erreur en revenant dans la forêt alors que nous t’avions averti…
— Bon, maintenant, écoutez-moi, vous tous, dit Hagrid avec colère. Si ça ne vous ennuie pas, j’aimerais bien que vous arrêtiez un peu cette histoire de « notre » forêt. Ce n’est pas à vous de décider qui a le droit ou pas de venir ici…
— Ce n’est pas à toi non plus, Hagrid, dit Magorian d’une voix paisible. Je te laisserai passer aujourd’hui parce que tu es accompagné de tes jeunes…
— Ce ne sont pas les siens ! l’interrompit Bane avec mépris. Ce sont des élèves de l’école, Magorian ! Ils ont sans doute déjà profité des enseignements du traître Firenze.
— Quoi qu’il en soit, poursuivit Magorian toujours très calme, tuer des poulains est un crime horrible ; nous ne touchons jamais aux innocents. Aujourd’hui, Hagrid, tu peux passer. Mais à l’avenir, ne viens plus ici. Tu as renoncé à l’amitié des centaures lorsque tu as aidé le traître Firenze à nous échapper.
— Ce n’est pas une bande de vieilles mules dans votre genre qui m’empêchera d’aller dans la forêt ! répliqua Hagrid en haussant le ton.
— Hagrid ! s’exclama Hermione d’une voix aiguë et terrifiée, tandis que Bane et le centaure gris frappaient le sol de leurs sabots. Allons-nous-en, s’il vous plaît, allons-nous-en !
Hagrid reprit son chemin, mais son arbalète était toujours levée et ses yeux fixaient Magorian d’un air menaçant.
— Nous savons très bien ce que tu caches dans cette forêt, Hagrid ! leur cria Magorian alors que les centaures disparaissaient de leur champ de vision. Et notre tolérance a des limites !
Hagrid se retourna en ayant l’air de vouloir foncer droit sur Magorian.
— Vous le tolérerez aussi longtemps qu’il sera là. C’est autant sa forêt que la vôtre ! s’exclama-t-il.
Harry et Hermione le repoussaient de toutes leurs forces, les mains sur son gilet en peau de taupe, pour essayer de l’empêcher d’avancer. Toujours furieux, il baissa les yeux et son visage exprima soudain une légère surprise lorsqu’il les vit arc-boutés contre lui. Il semblait n’avoir rien remarqué.
— Calmez-vous, tous les deux, dit-il en faisant demi-tour pour repartir.
La respiration haletante, ils reprirent leur marche à ses côtés.
— Ce sont vraiment d’horribles vieilles mules !
— Hagrid, dit Hermione, le souffle court, en contournant les orties devant lesquelles ils étaient déjà passés en arrivant, si les centaures ne veulent pas d’humains dans la forêt, je ne vois pas comment Harry et moi nous pourrions…
— Oh, tu as entendu ce qu’ils ont dit, ils ne tuent pas les poulains, enfin, les enfants. De toute façon, on ne va pas se laisser impressionner par cette bande là, répondit Hagrid avec dédain.
— Bien essayé, murmura Harry à Hermione qui paraissait déconfite.
Ils rejoignirent enfin le sentier et, dix minutes plus tard, les feuillages des arbres commencèrent à s’éclaircir. Des taches de ciel bleu apparaissaient à nouveau au-dessus de leurs têtes et ils entendirent au loin des cris et des acclamations.
— C’était un autre but ? demanda Hagrid en s’arrêtant un instant à l’abri des arbres alors que le stade venait d’apparaître au loin. Ou vous croyez que le match est fini ?
— Je ne sais pas, répondit Hermione, accablée.
Harry vit qu’elle n’était pas en très bon état. Ses cheveux étaient pleins de feuilles et de brindilles, sa robe déchirée en plusieurs endroits et elle avait de nombreuses égratignures un peu partout sur le visage et les bras. Lui-même, songea-t-il, ne devait pas paraître plus reluisant.
— Moi, je pense que c’est fini, dit Hagrid en plissant les yeux pour observer le stade. Regardez, il y a des gens qui sortent déjà. Si vous vous dépêchez, vous pourrez vous mêler à la foule et personne ne s’apercevra que vous n’étiez pas là pendant le match.
— Bonne idée, dit Harry. Bon, alors… à plus tard, Hagrid.
— Je n’arrive pas à y croire, dit Hermione d’une voix mal assurée lorsqu’elle fut certaine que Hagrid ne pouvait plus les entendre. Je n’arrive vraiment pas à y croire.
— Du calme, conseilla Harry.
— Du calme ? reprit-elle fébrilement. Un géant ! Un géant dans la forêt ! Et on est censés lui donner des leçons d’anglais ! En admettant, bien sûr, qu’on puisse échapper au troupeau de centaures assassins à l’aller et au retour ! Je n’arrive pas à y croire !
— Pour l’instant, on n’a encore rien à faire ! dit Harry à mi-voix pour essayer de la rassurer.
Ils s’étaient mêlés à un flot de Poufsouffle jacasseurs qui retournaient au château.
— Il ne nous a pas demandé de commencer quoi que ce soit tant qu’il n’a pas été renvoyé, ce qui ne se produira peut-être pas.
— Oh, ça suffit, Harry ! répliqua Hermione avec colère.
Elle s’arrêta net, obligeant les élèves qui la suivaient à la contourner.
— Bien entendu qu’il va être renvoyé et, pour être tout à fait honnête, après ce qu’on vient de voir, qui pourrait en vouloir à Ombrage de se débarrasser de lui ?
Il y eut un silence pendant lequel Harry la fusilla du regard. Les yeux d’Hermione se remplirent lentement de larmes.
— J’espère que tu n’as pas voulu dire ça, murmura Harry.
— Non… C’est vrai… Bon… ça m’a échappé, répondit-elle en s’essuyant les yeux avec colère. Mais pourquoi faut-il qu’il se complique tellement la vie… et qu’il complique la nôtre ?
— Je ne sais pas…
Weasley est notre roi
Weasley est notre roi
Avec lui, le Souafle ne passe pas
Weasley est notre roi
— Et j’aimerais bien qu’ils arrêtent de chanter cette stupide chanson, dit Hermione d’un ton affligé. Ils ne se sont pas suffisamment moqués de lui ?
De retour du stade, une marée de supporters remontait la pelouse.
— Rentrons vite avant qu’on tombe sur des Serpentard, ajouta Hermione.
Weasley est vraiment très adroit
Il réussit à chaque fois
Voilà pourquoi
Les Gryffondor chantent avec joie
Weasley est notre roi
— Hermione, dit lentement Harry.
La chanson retentissait avec de plus en plus de force. Cette fois, cependant, elle ne s’élevait plus d’une foule de Serpentard en tenue vert et argent mais d’une masse rouge et or qui avançait lentement vers le château, portant en triomphe une silhouette solitaire.
Weasley est notre roi
Weasley est notre roi
Avec lui, le Souafle ne passe pas
Weasley est notre roi
— Non ? dit Hermione d’une voix étouffée.
— SI ! s’exclama Harry.
— HARRY ! HERMIONE ! leur cria Ron, fou de joie, en brandissant la coupe de Quidditch en argent. ON A RÉUSSI ! ON A GAGNÉ !
Harry et Hermione le regardèrent passer en lui adressant un sourire radieux. Il y eut une mêlée à la porte du château et la tête de Ron heurta assez brutalement le linteau mais personne ne semblait décidé à le reposer par terre. Sans cesser de chanter, la foule se pressa dans le hall d’entrée, disparaissant peu à peu à l’intérieur. Le visage rayonnant, Harry et Hermione les suivirent du regard jusqu’à ce que les derniers échos de Weasley est notre roi s’évanouissent. Puis ils se tournèrent l’un vers l’autre et leur sourire s’effaça.
— On ne lui annoncera la nouvelle que demain, d’accord ? suggéra Harry.
— Oui, très bien, approuva Hermione d’une voix lasse. Je ne suis pas pressée.
Ils montèrent les marches côte à côte. Arrivés devant la porte, ils se retournèrent instinctivement vers la Forêt interdite. Harry ne savait pas très bien si c’était un effet de son imagination mais il crut voir des oiseaux s’envoler précipitamment comme si l’arbre dans lequel ils étaient perchés avait été soudain déraciné.